Un patrimoine exceptionnel
En 1939, l’inauguration du canal Albert consacre l’achèvement d’un chantier colossal reliant désormais le bassin économique liégeois au port d’Anvers par voie fluviale. À l’initiative de l’asbl Le Grand Liège menée par Georges Truffaut, une grande exposition internationale est organisée pour célébrer ce nouvel ouvrage et adopte naturellement l’eau comme thématique centrale. Cet événement d’envergure constitue également l’occasion d’urbaniser une vaste zone au nord de la ville. L’ancienne plaine des manœuvres et, en vis-à-vis, la rive de Coronmeuse sont ainsi choisies pour accueillir les pavillons implantés le long de la Meuse.
L’Exposition propose un programme riche : démonstrations techniques consacrées à l’hydraulique et à la navigation intérieure, présentations des innovations industrielles, expositions artistiques illustrant la modernité, ainsi que diverses manifestations publiques – cérémonies, conférences et spectacles en plein air – destinées à attirer un large public. En 1939, Liège se positionne au centre de l’Europe !
Dès le lancement du projet, l’exigence de qualité architecturale s’impose comme essentielle, et l’architecture ainsi que l’urbanisme sont placés sous la responsabilité d’Yvon Falise. Ce jeune architecte, fondateur de la revue L’Équerre et ardent défenseur de l’architecture moderne, sollicite d’abord la participation de Le Corbusier, qui séjourne quelques jours en bord de Meuse. Pour des raisons principalement politiques, celui-ci est finalement écarté. Parallèlement, les aménagements paysagers sont confiés à Canneel-Claes, dont l’intervention contribue à structurer et embellir les abords des pavillons. Son travail met en valeur les perspectives vers la Meuse et renforce la cohérence d’ensemble, en créant des cheminements, des parterres et des plantations qui dialoguent harmonieusement avec l’architecture moderne de l’Exposition.
Conçue comme un ensemble cohérent et homogène, l’Exposition illustre l’évolution des techniques constructives grâce à l’usage systématique de l’ossature métallique, permettant une construction rapide des bâtiments. Le plan d’aménagement imaginé par Falise accorde à la Meuse un rôle structurant : du nord au sud, tous les pavillons s’organisent autour du fleuve, multipliant les perspectives et faisant de l’eau le véritable fil conducteur du site. La plupart des pavillons présentent une architecture simple, moderne et fonctionnelle ; leurs façades blanches et leurs toitures plates s’inscrivent pleinement dans le Mouvement moderne.
”Nous avons voulu une exposition claire, ordonnée, spacieuse, une exposition qui respire. Elle doit l’être parce que le fleuve lui dicte son échelle et le plus gros de son plan.
Yvon Falise, 1939.
Jean Moutschen (1907-1965)
Né à Liège en 1907, Jean Moutschen étudie l’architecture à l’Académie des Beaux-Arts de Liège où il participe, aux côtés d’Yvon Falise, à la création de la revue L’Équerre. Sensible aux images de l’architecture moderne qu’il découvre dans la presse internationale, il s’oriente vers une conception fonctionnelle et utilitaire de l’architecture.
Nommé architecte en chef de la Ville de Liège en 1933, fonction qu’il occupe pendant plus de trois décennies, il dirige et coordonne un nombre considérable de projets architecturaux et urbanistiques, supervisant la construction ou la rénovation d’écoles, d’équipements publics, ou d’infrastructures sportives. Parmi ses réalisations les plus emblématiques, outre l’ancienne patinoire, on compte le lycée Léonie de Waha (1936-1938), chef-d’œuvre de l’architecture scolaire moderne en Belgique, remarquable par ses volumes, sa transparence et son articulation fonctionnelle. Signalons encore que les complexes scolaires de Naniot (vers 1934) et de Saint-Gilles (école André Bensberg, 1935-1937) sont également de sa conception. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Jean Moutschen dirige également la construction du complexe scolaire de Hazinelle (1960-1964). L’architecture de Jean Moutschen se caractérise par une alliance entre rigueur rationaliste, élégance structurelle et préoccupation sociale, visant à offrir aux Liégeois des espaces fonctionnels, sains et lumineux. Jean Moutschen décède en 1965, laissant derrière lui une œuvre essentielle pour la compréhension de l’évolution de l’architecture publique en Wallonie.
La patinoire
Avec la plaine de jeux reine Astrid, le Palais permanent de la Ville de Liège est l’un des derniers bâtiments pérennes de l’Exposition de 1939. Jean Moutschen est à peine entré dans la trentaine lorsqu’il se lance dans la conception du bâtiment phare de l’exposition. Édifié en un an et conçu dès l’origine comme patinoire, l’édifice est équipé d’un plancher amovible ainsi que d’une scène coulissant sur des rails suspendus, afin de pouvoir accueillir des manifestations d’autres natures comme des spectacles ou des concerts. À l’époque, il s’agit de la plus vaste patinoire de Belgique et de l’une des plus importantes d’Europe. Longue de 90 m, large de 40 m et haute de 19,5 m, la salle principale se distingue par un immense volume sans appuis intermédiaires, rendu possible par une ossature en béton. Chauffée par air pulsé, elle est éclairée par une toiture à sheds soutenue par des contreforts extérieurs. La véritable prouesse réside toutefois dans la tribune suspendue en béton, offrant 781 places et portée sur 42 m. Autour de ce grand espace se greffent divers locaux – salles de conférence, de réception, puis plus récemment espaces sportifs. La fonctionnalité domine la conception du bâtiment, dont la sobriété est adoucie par un parement de plaques en terre cuite déclinant une gamme chromatique du violet foncé au rouge clair. Comme pour le lycée de Waha, Moutschen fait appel à des artistes, fidèle à son engagement en faveur d’un dialogue étroit entre architecture et arts plastiques dans les édifices publics. Le sculpteur A. Salle réalise deux bas-reliefs, un buste et un Dionysos dansant au rythme du tambourin. L’œuvre la plus remarquable reste cependant le grand bas-relief d’Adolphe Wansart, qui couvre toute la largeur de l’entrée principale : Liège, les Sciences et les Arts. De part et d’autre de l’allégorie de la Ville se déploie un panorama de l’histoire industrielle et culturelle liégeoise : à gauche, la muse de l’électricité fait face à l’armurier et au Val Saint-Lambert ; à droite, la muse des arts et des sciences domine les allégories artistiques, ainsi que Grétry et Franck. Le style oscille curieusement d’une figure à l’autre entre stylisation et réalisme.
Principalement affecté aux activités de patinage sur glace, le bâtiment est également connu pour avoir accueilli de nombreuses activités culturelles. Des groupes comme Madness, New Order ou Camel ont fréquenté la salle.